Albert Camus, l’homme, le combattant, l’écrivain …
Vous connaissez maintenant ce blog et son principe qui n’est pas de vous présenter la biographie d’un auteur dans sa totalité mais de vous donner envie de le découvrir par vous-mêmes avec des bribes de vie et des mots… L’auteur du jour, vous le connaissez tous, sinon ses écrits, par son aspect, assez bien habillé avec une inévitable cravate, bien peigné, et toujours cette éternelle cigarette à la bouche, ou la plume à la main.
Camus, cigarette à la bouche, toujours …
Son prénom, on ne le donne plus à personne, plus aucun bambin en 2014 ne se prénomme Albert, cherchez dans les cours de maternelle, d’école, dans les facs. Allez, vous trouverez peut-être un Alberto, la consonance italienne donnant un petit aspect exotique à ce prénom désuet. Lui, l’Albert en question, quand on lui a donné ce prénom bien français, il était assez répandu et pour bien faire on l’a accolé à un nom, bien français lui aussi : Camus.
Il est pourtant né à Mondovi en 1913 en Algérie. Il y a chez le bonhomme un aspect anticolonialiste qui lui vient certainement de cette communauté agricole algérienne dans laquelle il a vécu, mais aussi de ses fréquentations, notamment avec un oncle anarchiste et Voltairien qui va lui donner accès à une bibliothèque que l’on ne trouve pas dans tous les salons de l’époque. Des mauvaises langues prétendront qu’il fréquentait les loges des francs-maçons, mais vous savez comment sont les mauvaises langues.
Une bourse lui permet de continuer ses études alors que l’on préfèrerait le voir gagner sa vie. C’est sur les bancs de l’école qu’il va entrevoir les horreurs de la guerre, par les livres et le récit de Dorgeles « Les croix de bois ». Mais l’antimilitarisme ne lui suffit pas, le voilà étudiant la philosophie et Nietzsche tout en restant attaché à la condition ouvrière d’où il vient.
Une graine de libertaire. Il aurait pu finir repris de justice avec des idées pareilles, il fut écrivain et dramaturge.
En 1934 il pique la femme de Max Paul Fouchet, mais la jeune femme est toxico, entre l’héroïne et la seringue, leur mariage s’étiole rapidement.
En 1935, il adhère au Parti Communiste, mais il le quitte avec perte et fracas à cause de la position de celui-ci sur l’assimilation et la souveraineté française. Ensuite tout s’enchaine. D’abord le théâtre, il joue et monte des pièces, Le temps du mépris de Malraux, Les bas-fonds de Gorki, Les frères Karamazof de Dostoïevski. En 1942, il écrit le Mythe de Sisyphe où, en revisitant un personnage de la mythologie grecque, Camus entend montrer que la révolte est le seul moyen de vivre sa vie dans un monde absurde. Peu de temps après « L’étranger » est édité. Ses premières œuvres sont déjà tournées vers l’absurde, cité plus haut et la philosophie, car celle-ci est toujours présente en filigrane dans ses récits.
Dans « L’étranger », le personnage principal, Meursault est comme absent à ce qui lui arrive, déshumanisé. La fatalité, les hasards et son refus de mentir vont le mener à un procès où il va être condamné à la guillotine –
« Arrêtez de prier pour moi. Vous êtes si certain, n’est ce pas ? Pourtant aucune de vos certitudes ne vaut un cheveu de femme, et vous n’êtes même pas sur d’être en vie puisque vous vivez comme un mort. Moi j’ai l’air d’avoir les mains vides, mais je suis sur de moi, sur de tout, plus sur que vous, sur de ma vie, de cette mort qui va venir… Oui je n’ai que ça, mais du moins je tiens cette vérité autant qu’elle me tient. …. Rien, rien n’a d’importance et je sais bien pourquoi ! Toi aussi tu sais pourquoi toute cette vie est absurde »
. Camus a besoin de matière pour écrire, mais aussi pour vivre, il veut s’engager. Après 1942 et un mouvement de résistance où il s’investit, il rencontre Sartre en 1944 « l’admirable conjonction d’une personne et d’une œuvre », écrit-il de lui. Mais leurs relations vont s’envenimer.
Albert Camus, la profondeur et l’élégance.
S’enchainent plusieurs pièces de théâtre. Une autre page Ipagination parlera peut être un jour de ces dernières, mais ce sont ses textes qui retiennent le plus l’attention. « La peste », sans doute le plus grand livre de Camus, qui donna naissance à un film où l’on traita à travers le thème de la maladie contagieuse, une dictature sud-Américaine. Et l’on ne pouvait faire mieux, l’analogie avec le fascisme et la dictature est évidente tout le long du livre. L’on ferme une ville atteinte par le mal et sous prétexte d’éradiquer la maladie, on isole, on emprisonne, où l’on fait disparaître les résistants à cet ordre nouveau qui est chargé de protéger et de veiller au bon fonctionnement des nouvelles institutions pour se protéger du fléau.
« ….Ainsi, à longueur de semaine, les prisonniers de la peste se débattirent comme ils le purent. Et quelques-uns d’entre eux, comme Rambert, arrivaient même à imaginer, on le voit, qu’ils agissaient encore en hommes libres, qu’ils pouvaient encore choisir. Mais, en fait, on pouvait dire à ce moment, au milieu du mois d’août, que la peste avait tout recouvert. Il n’y avait plus alors de destins individuels, mais une histoire collective qui était la peste et des sentiments partagés par tous. Le plus grand était la séparation et l’exil, avec ce que cela comportait de peur et de révolte…. »
« …..Écoutant, en effet, les cris d’allégresse qui montaient de la ville, Rieux se souvenait que cette allégresse était toujours menacée. Car il savait ce que cette foule en joie ignorait, et qu’on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu’il peut rester pendant des dizaines d’années endormi dans les meubles et le linge, qu’il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse »
Il y a ensuite en 1956 « La chute », un monologue de 150 pages, le livre le plus déconcertant à mon avis. Le début du récit relate la perception que le narrateur a de lui-même dans ses jeunes années : en un mot il s’aime, profite de ses conquêtes et de son statut de jeune avocat. Et puis un jour, tout change. Par lâcheté il ne porte pas secours à une femme qui se noie. Le voilà taraudé jusqu’au plus profond de sa conscience et cela le pousse irrémédiablement à réfléchir aux raisons qui obligent les hommes à arpenter leur vie sans en explorer le sens ou la vérité. Il se sent sale et le devient, il mène une vie de « juge-pénitent » dans un bar sordide du port d’Amsterdam … pour expier ? Pour chuter à l’instar de la victime non sauvée? On a dit de ce livre qu’il était moral et social, et il y a sans doute là un compte à régler avec Sartre
« Sur le pont, je passai derrière une forme penchée sur le parapet, et qui semblait regarder le fleuve. De plus près, je distinguais une mince jeune femme, habillée de noir. Entre les cheveux sombres et le col du manteau, on voyait seulement une nuque, fraîche et mouillée, à laquelle je fus sensible. Mais je poursuivis ma route, après une hésitation… J’avais déjà parcouru une cinquantaine de mètres à peu près, lorsque j’entendis le bruit, qui, malgré la distance, me parut formidable dans le silence nocturne, d’un corps qui s’abat sur l’eau. Je m’arrêtai net, mais sans me retourner. Presque aussitôt, j’entendis un cri, plusieurs fois répété, qui descendait lui aussi le fleuve, puis s’éteignit brusquement. «
« … Disons que j’ai bouclé la boucle en buvant l’eau d’un camarade agonisant … . Mais j’ai bu l’eau, cela est sur, en me persuadant que les autres avaient besoin de moi, plus de celui-ci qui allait mourir de toute façon, et je devais me conserver à eux… C’est ainsi cher que naissent les empires et les églises sous le soleil de la mort (….) . « (…) Le goût de la vérité à tout prix est une passion qui n’épargne rien et à quoi rien ne résiste. C’est un vice, un confort parfois, ou un égoïsme. »
Il a écrit en 1951 « L’homme révolté » son ouvrage le plus politique où l’on découvre un Camus libertaire, « je me révolte donc nous sommes » La révolte comme seul moyen de dépasser l’absurde (encore lui), ou comment au nom de la révolte on s’accommode du crime, des états policiers et concentrationnaires. Il traite donc de l’homme révolté emprisonné dans son image qui en oublie le sens même de sa révolte. Il déboulonne les statues croyant plus au collectif et à la conscience qu’aux dogmatismes, fussent-ils proudhoniens .
A lire : La chute, La peste, L’homme révolté, L’été, L’hôte, Actuelles chroniques
Les pièces : Le malentendu, Les justes
Pour écouter le discours prononcé à l’occasion de l’obtention du Prix Nobel :
Ses paroles sont toujours et plus que jamais d’actualité, on devrait tous avoir ses ouvrages comme livre de chevet
entierement d’accord avec toi Roselyne
Merci à vous deux de laisser quelques mots
Merci pour cet excellent article.
Merci à toi Brigitte, merci de t’être arrêtée sur ces lignes… Je connaissais Camus, survolé il y a quelques années, lu l’homme révolté et dans mes lectures d’ado la chute. J’ai eu l’occasion de voir « la peste » monté au cinéma « déplacé » en Amérique du sud sous une dictature, Je te conseille ce film magnifique. Depuis je me suis rattrapé et le grand bonhomme a pris toute sa place dans ma tête…
Tu sais je pensais c’est magique j’appuie sur un lien et je me retrouve sur ton com… Merci donc à la technique et comme je ne pense jamais à le faire merci à Firentz et à l’équipe du blog pour tout ce super boulot