Cara Barer ou la métamorphose des livres
Voici donc une autre approche artistique en lien avec le livre physique, qui décidément semble se décliner de bien des façons. Le livre-objet fascine et inspire quelle que soit la culture des nombreux artistes que nous avons découverts jusqu’à présent.
Cette fois, c’est le travail de Cara Barer, artiste du Texas que nous allons regarder de plus près et tenter de comprendre.
Une signature artistique encore différente que nous vous proposons là, et non moins étrange. La photographie de Cara Barer se focalise presque exclusivement sur les bords des pages que l’artiste dispose en arabesques fantastiques de blanc ou de couleur sur un fond noir. Fragile et dynamique à la fois, c’est le papier lui-même qui crée le spectacle proposé, qu’il soit rigide ou souple, assurément lunatique d’une œuvre à l’autre.
L’idée lui serait venue lorsqu’elle a vu un annuaire téléphonique gisant sur le sol par temps de pluie. Elle prit d’instinct son premier cliché ensuite suivi de bien d’autres, après recherche, expérimentation et travail afin de maîtriser son art.
Difficile de classifier le travail de l’artiste qu’elle-même ne qualifie pas de photographie : « Je ne me considère comme un photographe — mais plutôt un artiste qui utilise la photographie » nuance Cara Barer, dont grande part du travail consiste en la mise en scène du ou des livres associés. La sculpture est une autre grande partie de son processus : avant de photographier un livre, elle peut, par exemple, le laisser tremper pendant des heures puis placer les pages sur des rouleaux destinés habituellement aux cheveux pour leur faire adopter la forme attendue, ou encore fixer certaines pages à l’aide de Velcro. Ce processus influence son choix de livres: « en raison du fait que je dois commencer à penser à la manipulation du livre comme sculpture tout d’abord. Je suis très attirée par ses propriétés physiques : la taille, la qualité du papier, s’il contient ou non un seul texte… ».
Comme pour la plupart des artistes requalifiant l’usage du livre, le contenu de ce dernier compte pour beaucoup dans la forme qu’il revêtira après travail, ce qui amène même parfois à oublier la démarche artistique initiale : « le texte peut me conduire à m’écarter du plan originel que j’ai pu avoir à l’esprit. Plusieurs fois j’ai commencé très objectivement et puis j’ai fini par me plonger dans sa lecture au lieu de travailler sur la sculpture réelle. », l’occasion pour les livres de sculpter au préalable l’esprit de l’artiste…
Certaines mises en scène donnent vie à des œuvres complexes, comme Papillon ou encore Labyrinthe bleu. Un travail de patience et de métamorphose absolue, si bien que parfois on ne discerne presque plus le livre en qualité d’objet…Ce travail de transformation est essentiel pour Cara Barer, il est un but presque premier : « Je veux interpeller le spectateur en lui présentant le livre hors de son contexte et le lui faire regarder comme quelque chose d’autre que sa fonction initiale. Regarder seulement l’objet, se concentrer sur son état ».
Si certaines œuvres sont poétiques et fantastiques, certaines sont nettement plus délicates à aborder et laissent souvent le spectateur entre expectative et contemplation.
Derrière leur solennité ludique, ces livres font étalage de leurs pages et posent parfois comme des insectes étrangement mélancoliques, symbolisant l’éphémère. Et c’est cet éphémère-là qui est au cœur de la démarche de l’artiste :
« Je crains que le mot imprimé ne devienne une rareté, et que la prochaine génération s’appuie sur le mot éphémère : le genre numérique qui n’existe que grâce à un écran d’ordinateur, ou une sorte de livre virtuel qui peut contenir des milliers de titres. Je ne dis pas c’est une mauvaise idée, j’espère seulement que la version papier continuera d’être et d’exister pour les gens qui veulent la sensation réelle du tactile : tourner une page en maintenant en vie un véritable objet. »
Depuis, elle ne cesse de partir en quête de nouveaux livres à métamorphoser, travaillant l’éphémère comme un sacrifice au temps, l’implorant d’accorder au livre-papier une vie éternelle…
Laisser un commentaire