Ipagina’Son brise le silence de la mer…
Une femme assiste, témoin impuissant, à une scène sur la plage qui lui rappelle ses propres souvenirs douloureux. L’enfance réapparait à travers les yeux d’adulte de Ladynight et le passé ne cesse de ressurgir au gré des vagues, malgré la mer qui a gardé le secret de la violence du traumatisme.
La petite fille d’aujourd’hui s’échappe et sourit à la vie…une note d’espoir …la cicatrisation ?
Firenz’ lit ce récit très émouvant et plein de pudeur, sélectionné par Bluewriter.
Le silence de la mer
La même plage, vingt ans après. Retour aux sources, là où tout commence, l’enfance… Je revois tout comme si c’était hier. Nos jeux dans le sable, nos courses-poursuites avec de l’eau à mi-mollets, l’étourdissement qui nous gagnait après plusieurs roulades dans les dunes et puis surtout le bruit du ressac qui couvrait tous nos cris, surtout les plus étouffés… Je ne veux pas repenser à tout cela, revivre ces instants douloureux qui me firent brusquement basculer dans l’âge adulte, celui des secrets jamais révélés et dont la seule évocation me donnait la nausée… Pourtant ici rien n’a changé, comme si la nature se jouait des drames se déroulant sous ses yeux. Je m’arrête un instant et m’allonge sur le sable. Le soleil m’éblouit m’obligeant à fermer les yeux; Je me laisse bercer par la ronde des vagues qui mangent la plage doucement, grignotant mètre par mètre l’étendue livrée aux promeneurs…
« Louise, tu es là ? Tout le monde te cherche tu sais ! » Il a plaqué sa main sur ma bouche, pour être sûr que je ne me manifesterai pas. Il sait pourtant que je ne bougerai pas, que je ne crierai pas. Enfant docile et soumise, petite fille apeurée mais tellement éprise. Je sens son souffle sur ma peau, son haleine quand il m’embrasse, ses mains qui me caressent en me faisant frémir de plaisir et de honte…
Je me réveille en sursaut et vais me mouiller la nuque pour chasser ce rêve. J’aurais du pourtant me douter qu’en revenant ici, tout ressurgirait de plein fouet, que la violence de mes souvenirs viendraient à nouveau me hanter. La blessure est encore à vif… Je fais quelques pas au bord de l’eau et des rires d’enfants me parviennent depuis les dunes. Une petite fille d’une dizaine d’années court en faisant un nuage de sable. Elle est poursuivie par un jeune adolescent. Il lui dit de l’attendre, la supplie de ralentir un peu. Elle l’écoute un moment, se baisse pour ramasser un coquillage… Et soudain, il est là, tout près et la serre contre lui. Elle se laisse faire car elle se sent en confiance. Elle ne dit rien non plus quand il la fait tomber dans le sable et pose son corps d’homme sur elle.
Je regarde cette scène et reste hypnotisée. Cette enfant, est-ce moi ? Suis-je en train d’observer ce que j’ai vécu, il y a vingt ans maintenant ? Je me sens incapable de faire le moindre geste, de signaler ma présence derrière cette dune… J’assiste impuissante au viol d’une enfant.
Mais des cris viennent briser le silence de la mer. C’est l’enfant qui refuse d’être meurtrie comme je l’ai été à son âge et se défait de son agresseur. Elle court à perdre haleine vers la plage et se jette à l’eau rejoignant ses camarades qui ne s’étaient même pas rendus compte de son absence.
J’ai du dormir deux bonnes heures. Le soleil a tourné, laissant ses derniers rayons inonder l’horizon. J’aperçois des enfants qui rient en s’éclaboussant au bord de l’eau. Une petite fille blonde me sourit quand j’arrive à leur hauteur. Sa maman l’appelle depuis les dunes :
« Louise, nous te cherchions, tu exagères quand même ! Dépêche-toi de te sécher et rejoins-nous à la voiture ! »
Elle obéit, comme une enfant aimante. Son regard est très clair, presque transparent. Aucune ombre ne vient l’assombrir. Je lui fais un signe de la main et la regarde s’éloigner, enfant insouciante, épargnée par la vie…
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« Cicatrisation » est un terme parfaitement approprié, il me semble. Cette enfance qui saute à la gorge et qui ravive la blessure, même si la douleur de l’instant n’est plus, il en reste toujours le stigmate, bien visible : le souvenir indélébile.
Bien sûr, c’est délicat d’exprimer un point de vue sur un sujet qui ne nous affecte pas personnellement, mais j’imagine à quel point cela doit être difficile de trouver la force de dire « oui » à un partenaire, après qu’on n’ait pas trouvé la force de dire « non », d’être tenté de fuir les situations où l’on sera confronté à l’intimité d’une relation de couple, tant le traumatisme est présent.
La symbolique de la mer colle bien au propos, je trouve : le flux et le reflux, l’agitation, le risque de submersion…
Bonjour NigYan,
Je te remercie d’exprimer là les réflexions que suscite ce sujet douloureux. Ravie de ton écoute et de la lecture de ce beau texte.