Ipagina’Son lit une promesse d’amour jusqu’à la mort.
Votre lectrice du jour : Agathe
Pierre et Mado, ou l’amour éternel…
Il a vécu l’enfer durant la première guerre et s’est fait la promesse que si la vie lui accordait la vie sauve, elle ne le séparerait plus jamais de son amour.
» Plus rien ne nous séparera, pas même la mort »
La vie les a écoutés et leur a offert soixante-dix années de bonheur.
La mort aussi les a écoutés, elle attendra soixante-dix ans avant de reprendre Mado à Pierre.
Pierre tient sa promesse, il ne peut rester séparé de l’amour de sa vie…et la suit dans la mort
Ce texte poignant fait partie des sélections du mois de juillet de Malayalam.
JUSQU’A CE QUE LA MORT NOUS SEPARE
Il faisait froid et le brouillard d’octobre recouvrait la plaine. Son habit plein de boue, il tenta de fuir, mais les bruits assourdissants autour de lui lui firent perdre l’équilibre et il tomba à terre. Il entendit des tirs ennemis non loin et sut, par expérience, qu’il devait se jeter dans la première tranchée qu’il trouverait, s’il voulait y survivre.
Son cœur battit, son pouls s’emballa. Il sentait la fin arriver. Du fond de cette tranchée jonchée de cadavres, il se protégea jusqu’à l’explosion.
Nous étions en mille neuf cent dix-sept, la guerre grondait et, du haut de ses dix-neuf ans, Pierre regardait autour de lui la misère et l’horreur qu’il aurait tant aimé fuir.
Lorsqu’il pressentit que ce combat prenait fin, il se repassa sa vie, ses dix-neuf années de vie dont il avait déjà usé une entière au fond de ces chemins creusés, de ces refuges temporaires.
Et il pensa à elle. Il sentait que son temps était compté et qu’il ne la reverrait pas. Et son cœur saigna à l’idée d’imaginer, seulement un instant, qu’un inconnu lui porterait une lettre recouverte d’un sceau et qu’elle apprendrait ainsi que la guerre lui avait été fatale. Ses yeux s’embrumèrent.
Le combat s’éloigna, ses amis de galère le rejoignirent. Ils se retrouvèrent, se comptèrent. Plusieurs manquaient à l’appel. Un jour, ce serait l’un d’eux. Ils en avaient tous conscience. Mais aucun ne le voulait. Qui voudrait mourir à vingt ans, même au nom de la liberté, même au nom des idées et de la patrie ?
Pierre prit alors une décision et alla chercher, au fond de sa poche, un papier et un crayon conservés précieusement. Les mots glissèrent sur le papier jauni. Il avait si mal au fond de lui qu’il aurait pu griffonner des pages entières. Les mots lui vinrent, naturellement. Comme on fait certains soirs de nostalgie des bilans de vie, des mots à ceux qu’on aime, à celle qu’on aime. Comme on fait parfois un testament que nous seuls lirons… Il voulait lui parler, mais elle n’était pas là. Sa Mado qui pourtant lui avait fait tant tourner la tête. Sa Mado qu’il avait tant voulu épouser et pour laquelle il s’était battu contre l’avis de leurs familles pour obtenir leurs consentements. Sa Mado.
Il aurait aimé la voir, lui dire qu’il l’aimait, lui passer encore une fois la main dans les cheveux, la serrer dans ses bras et sentir son parfum ambré sur lui. Mais il pressentait qu’il ne pourrait plus le sentir, ce parfum, et il pleurait, en silence, en écrivant quelques mots sur ce papier et que, peut-être, jamais elle ne lirait. Mais peu importait. Il devait le faire.
Aujourd’hui, elle avait dix-huit ans et il n’était pas là. Elle était seule, elle l’attendait sans doute. Elle devait avoir peur elle aussi, loin des tranchées, mais à sa manière. L’horreur peut avoir plusieurs visages. Et l’attente et l’incertitude sont l’un d’eux.
« Ma douce, ma Mado que j’aime,
Aujourd’hui, me voici au fond d’un de ces lieux devenus notre maison jusqu’à la fin de la guerre. Aujourd’hui, tu as dix-huit ans ma Mado et je suis loin de toi.
Comment te dire à quel point nous vivons l’horreur ici ? La mort est notre compagne. Les amis tombent, ils ne se relèvent pas. Les journées font peur, les nuits sont des cauchemars. L’odeur de nos camarades morts, l’odeur de ceux qui ne peuvent, pardonne moi mais c’est la vérité, se retenir tant ils ont peur, l’odeur du sang… Mado, je ne veux plus être là. Aucune cause ne vaut leurs vies ou la mienne. Enfin, si… mais tu comprends. Je ne veux pas mourir, ma douce, ma tendre. Je veux être près de toi encore.
Sais-tu que, parfois, les nuits, j’ai la sensation que tu es là ? Que ta voix vient me caresser, me rassurer ?
Je veux revenir vers toi, je veux te serrer. La séparation est pire que chaque instant vécu ici.
Ma douce, je veux rentrer au village et revenir à la maison. Je veux que nous revivions comme avant, de tout et de rien. Je travaillerai et t’offrirai la vie que nous imaginions.
Je repense souvent à nos premières heures, le jour où je t’ai vu et que j’ai su que je t’épouserai, le jour où j’ai compris que tu serais le seul amour de ma vie. Comme une évidence. Et que j’ai mené un combat bien plus fort que celui que je mène ici, pour que nos parents comprennent que, jamais, je ne te laisserai.
Je suis aujourd’hui ici, entouré de terre et de boue. Je sais que l’endroit est mal choisi, ma tendre, mais je voudrais te demander une faveur : si je rentre de cet enfer, si je te retrouve au village, s’il te plaît, voudrais-tu bien me donner un enfant ? Je ne peux concevoir l’idée de partir un jour et que rien ne reste de nous deux. Je ne peux accepter que notre amour n’ait pas d’héritage.
Tu me manques tant. Ton rire me hante, ton sourire me hante. Je ne vois que toi au milieu de ce noir et de cette guerre. Jamais je n’aurais imaginé, et pourtant Dieu seul sait à quel point je t’aime, que ne plus te voir serait pire torture que tout cela. Je ne veux plus jamais être séparé de toi.
On dit ici que la guerre touche à sa fin, que des hommes viennent en renfort de l’Amérique et que, dans quelques mois, nous serons peut-être enfin libérés. Nous le souhaitons tous. Et je te promets alors que jamais, au grand jamais, je ne repartirai. Quoi qu’il arrive, jamais plus je ne m’éloignerai de toi, ma douce.
Je voulais te faire cette lettre, je ne sais pas si un jour tu pourras la lire. Mais je me dois cette déclaration, peut-être la dernière lettre, si Dieu ne me porte pas vie…
Mado, n’oublie jamais. Je t’aime. Je n’aime que toi. Tu es ma vie et mon air. Sans toi, plus rien ne compte. Je vais tout faire pour rentrer et plus rien alors ne nous séparera. Pas même la mort.
Ton Pierre qui t’aime au-delà de tout »
Puis, il alla déposer sa lettre auprès du vaguemestre, ce témoin des amours et des horreurs de la guerre.
Un bruit sec le fit sursauter. Il releva la tête, le temps de reprendre ses esprits et il comprit où il était. Nous étions en mille neuf cent quatre-vingt-dix et la pluie de novembre frappait les volets. Catherine et Lucien venaient d’entrer dans la chambre.
Ils restèrent derrière lui, la main posée chacun sur une épaule. Un long silence prit place, entre sanglots et recueillement.
Pierre se souvint alors. Il ferma les yeux et la vit lorsque, rayonnante, elle vint lui annoncer qu’elle allait lui donner un fils. Il revécut la magie qui était entrée dans leur maison au premier cri de cet enfant, aujourd’hui lui-même devenu homme. Il se rappela aussi de l’arrivée de cette poupée dans son foyer, sa fille, le portrait de sa mère.
Il ne pouvait s’empêcher d’aimer ces deux êtres que son seul, son unique amour, sa Madeleine, aujourd’hui allongée sur leur lit, les bras en croix sur sa poitrine, lui avait donnés.
Ils étaient là, tous deux, ne sachant que faire pour soutenir celui qui, toujours, avait aimé et soutenu leur mère, contre vents et marées et même, même contre les guerres…
Ils lui dirent : « Papa, nous sommes là, derrière la porte. Nous te laissons avec Maman. Les Pompes Funèbres arrivent dans une heure. »
Le grincement de la porte, le vide dans la pièce. Pierre la regarde et se souvient de sa promesse, celle d’une nuit où il pensait ne pas survivre.
Elle l’avait lu Mado cette lettre. Elle l’avait reçue et lorsque Pierre fut rapatrié, après une blessure au genou, elle lui avait donné un enfant, puis deux. Ils s’étaient cachés pendant la Seconde Guerre, il avait tenu sa promesse de ne plus vivre loin d’elle.
Mais aujourd’hui, la vie lui avait fait une sombre farce. C’était elle qui était là, endormie pour toujours, le laissant seul face à la vie. Une vie qui sans elle n’avait aucun goût.
Pierre sent ses forces le fuir. Il se lève et va chercher un papier dans la commode de leur chambre. Il écrit quelques mots.
Puis il part vers le petit guéridon et sur lequel elle déposait depuis toujours son pilulier. Il l’ouvre et le détaille. Madeleine avait été si malade ces dernières années qu’il était rempli de cachets de toutes sortes. Il tourne la tête, aperçoit sa femme, immobile dans sa robe blanche, et son esprit se perd. Les souvenirs, la souffrance, tout se mélange.
Il se dirige vers le petit coin de toilette de la chambre, prend un verre d’eau, se regarde une dernière fois dans le petit miroir. Il remet sa veste de costume en place, noue sa cravate. Le jeune homme avait, à présent, laissé la place à un nonagénaire. Son corps était vieilli, abîmé par la vie.
L’heure est à présent venue.
Il s’allonge près de sa Mado, l’embrasse de toute sa tendresse une dernière fois. Il vient d’avaler tous ses médicaments et va paisiblement s’endormir à côté d’elle, comme tous les soirs depuis plus de soixante-dix ans.
Une heure plus tard, les Pompes Funèbres allaient arriver, ouvrir la porte avec Catherine et Lucien.
« Mes chers enfants, je suis vieux et je ne peux pas vivre sans elle. Vous êtes les fruits de cet amour et je sais que vous me pardonnerez ».
Ce furent deux amants enlacés qui furent emmenés ce jour-là.
Pierre, jusqu’au bout, avait tenu sa promesse : « Plus rien alors ne nous séparera. Pas même la mort ».
L’amour tricote des histoires bien belles parfois!
Merci pour la mise en voix Agathe! Et merci à Sandrine aussi! Bises à toutes les deux!
Un grand merci à toi Dominique !
Merci Agathe ! Quelle belle lecture ! Je suis très fière et émue, tu donnes au texte une dimension nouvelle ! Et merci surtout d’avoir sélectionné cette nouvelle. J’ai une tendresse particulière pour cette histoire là et je suis ravie qu’elle puisse être découverte par le plus grand nombre !
Un grand merci à toute l’équipe d’Ipagina’Son pour ce magnifique travail !
Sandrine BRANCOTTE
C’était avec grand plaisir Miss Sandrine Plume !!
Une histoire au point d’amour. merci Domi !
Quels talents, il ne faut pas le cacher mesdames, de l’auteure à la lectrice, ipagination et « son » est une pépinière de talents. Chaque fois que je découvre des textes sur Ipag ce sont des perles. Merci à vous deux
Merci Christian, ton commentaire est très agréable à lire. Et le texte de Sandrine plein d’émotion ne le fut pas moins.Et tu sais combien j’aime l’émotion…
Merci Christian. Je suis l’auteure et effectivement, il est très agréable de lire ce commentaire. Et au-delà du texte, quel talent dans la lecture ! Un grand bravo à Agathe ! Et quel honneur d’avoir été choisie : Merci à toute l’équipe !