iPagina’Son vous balade en caddie dans Paris…
l’équipe d’iPagina’Son se dévoile ici…
« Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? »
Cette phrase, issue des « Harmonies Poétiques d’Alphonse de Lamartine est illustrée parfaitement dans ce poème contemporain en alexandrins de Maninred.
Donner vie à un caddie, il fallait oser…
Pourtant le choix d’un objet familier, presque anodin, permet d’aborder de façon poétique et enfantine, une problématique de société en laissant une grande part au rêve. On se laisse bringuebaler dans une épopée rimbaldienne du XXIème siècle, pour terminer sur une touche d’espoir vers une nouvelle vie possible.
Patryck Froissart s’est laissé séduire par ce conte moderne et réaliste et l’a sélectionné dans ses préférences de conseiller d’iPagination. Myriam (Maboulunette) a choisi de le mettre en voix pour les ipagin’autditeurs…
CADDIE
Couché négligemment sur le bord d’un fossé,
Inspirant le mépris d’un monde caboteur,
Un vieux caddie rouillé de ses roues défaussé,
Dans sa longue agonie pleurait sur son malheur.
Il avait fait l’orgueil de gens en uniforme,
En rangées accouplé avec ses congénères,
Dans un supermarché, sur un parking énorme,
Au service voué de la gent ménagère.
« – Sherpa infatigable, asservie estafette,
Propulsé par l’essor d’étranges frénésies,
J’assistais le client au fil de ses emplettes,
Assumant le transport de ses denrées choisies.
Le temps m’a paru long, j’ai fait des kilomètres,
Des allers et retours du parking aux rayons.
Plusieurs milliers de fois se relayaient mes maitres,
Sans qu’un seul s’apitoie sur mon sort de grifton.
J’ai su leurs mains moites, calleuses ou inquiètes,
Qui serraient la rondeur de ma barre d’appui,
Me poussant sans égards vers là où tout s’achète,
Me chargeant goulument, au gré de leurs lubies.
Un jour un vieux monsieur a détourné ma route,
Il était différent, son train plus débonnaire,
Me confia son barda, un chiot nommé Helmut,
Quelques plantes en pot et un Cubitainer.
Je l’ai vraiment aimé, ce vieux poète hirsute,
Empenaillé de bure et d’un ciré vert pomme,
Il blasphémait souvent, s’inventait des disputes,
Poursuivi qu’il était, par des méchants fantômes.
Il m’a trainé partout, j’ai découvert Paris,
Les berges de la Seine et des gens étonnants,
Lorsque Helmut aboyait mon cocher attendri,
Le berçait maladroit, dans ses bras apaisants.
Les rebords de trottoirs me blessaient les chevilles,
Mon amble chevrotait sur les chaussées pavées,
Mais que j’étais heureux découvrant la Bastille
Et le bruit et la vie et les cieux délavés !
Si j’en ai vu des gens, empressés et honnêtes,
Evitant le regard de mon guide et son chien !
Parfois une mémé posait une piécette
Dans un panier d’osier, collecteur de butin.
Ses amis singuliers se retrouvaient le soir,
Sous un pont ténébreux, coffre-fort de leurs rêves,
Près d’un feu rassembleur brasillant les espoirs,
Rudoyés par le vin qui circulait sans trêve.
Des diatribes fusaient contre la terre entière,
Jurons de désamour pour chalands isolés,
Puis l’alcool estompait la haine rancunière,
Qui défaisait leur coeur de clochards esseulés.
Alors, lui, devisait sur l’énigme muette
Des étoiles perchées à l’abri du vacarme,
Cherchait dans le sommeil la clé d’une cachette
D’un monde décevant, pour y poser ses larmes.
Parfois, de ses doigts gourds, aux ongles encrassés,
Il caressait distrait l’acier qui me compose,
Me disait à l’oreille un rondeau du passé,
Qui parlait de passion, de filles et de roses.
A chaque nouveau jour pointait la renaissance
De lueurs inouïes, de gens, de cris, d’odeurs,
Et je me surprenais à aimer ces errances,
Dans un Paris vivant, ouvert aux baroudeurs.
Mais sont venus ces jours de paresse immobile :
L’homme s’émaciait, les plantes se séchaient.
Même Helmut d ‘habitude si vif et si servile,
S’étiolant de dépit, sans répit gémissait.
Un camion rouge enfer est venu m’enlever
Mon maitre et puis son chien sous un strident chambard.
Ils m’ont abandonné, sans même relever,
L’émoi qui me minait, sous l’oeil du gyrophare.
Pupille abandonné, j’ai souffert le martyre,
Des fripons avinés ont pillé mon fourbi,
D’autres m’ont malmené dans leurs sombres délires,
Me délaissant plus tard tel un glauque zombi.
Un larron plus teigneux s’en est pris à mes roues,
Figeant mon apparence et me clouant au sol.
Un autre m’a poussé dans cet horrible trou,
Entre un four cabossé et un vieux parasol.
Ici j’atteins ma fin de vie de colporteur,
Dans un profond sommeil orphelin d’illusions,
Attendant l’arrivée d’un vénal ferrailleur,
Qui me ramènera aux fourneaux de fusion.
Et je serai bateau, voiture ou bien charpente,
Ou cheval de manège ou câble d’ascenseur,
Sans doute oublieras-tu l’odyssée fascinante,
Du caddie vagabond qui encageait un coeur. »
(…c’était mon Caddie de Noël…)
Ce conte est un petit bijoux plein de tendresse qui met en lumière ces être oubliés du système que nous préférons trop souvent ignorer.
Merci d’avoir mis ce petit bijou en voix Myriam !
Merci Myriam de cette interprétation de mon conte. Une mise en voix qui porte ta griffe et qui donne à l’écrit une résonance singulière.