Jacques A. Bertrand, un écrivain léger et féroce.
Un article proposé par MarieM, dont vous pouvez consulter la page ici…
Jacques A. Bertrand, un écrivain léger et férocement humoristique.
Parce qu’à dix ans, après avoir subi une opération chirurgicale qu’il a voulu raconter sur papier, Jacques A. Bertrand s’est rendu compte qu’“il est plus intéressant et plus gratifiant de raconter la vie que de la vivre”, il a décidé de devenir écrivain.
Pour notre plus grand bonheur.
Il publie en 1983, son premier roman “Tristesse de la balance et autres signes”.
Depuis, plusieurs de ses livres ont été salués par quelques prix littéraires comme le prix de Flore pour le “Pas du loup” (1995) ou celui de 30 millions d’amis pour “Les sales bêtes” – Un régal –
Un des prix les plus emblématiques qu’il ait reçu est le Prix Georges Brassens. Ce prix a récompensé “La liberté de ton, l’impertinence, l’amour du verbe” de son livre “J’aime pas les autres” publié en 2007. Il faut y ajouter l’humour, bien entendu…
Dans ce roman, Jacques A. Bertrand cultive ce qu’il appelle “La Loi de la Légèreté Universelle”: Et c’est avec un humour féroce qu’il dénonce les maux de la société et les “Autres” qui sont des empêcheurs de tourner en rond…
«Comment je me suis fâché avec tout le monde, je ne sais plus très bien. Longtemps, j’ai cru aimer les autres. Peut-être que je croyais les aimer parce que je voulais qu’ils m’aiment. Vous voulez toujours que les autres vous aiment. Enfin, vous croyez. C’est des gens bizarres, les autres. Vous pensez qu’ils sont comme vous. Et pas du tout. Ils sont comme les autres. J’aime pas les autres. »
Il va continuer son exploration sarcastique et en même temps jubilatoire des « Autres » dans deux autres romans :“Les autres, c’est rien que des sales types, et “Les autres, c’est toujours rien que des sales types”. Il nous dresse des portraits bien sentis du “Touriste”, du “Parisien”, du Voisin, du Végétarien…. puis de l’ Ecrivain, du Pipole, du Candidat…
Et puis il y a le dernier né. “Comment j’ai mangé mon estomac” (2014)
On aborde ce roman avec une pointe d’inquiétude, le récit d’un cancer de l’estomac, quand même !
Et puis, non, au bout de quelques pages on sait qu’on peut se laisser aller, faire confiance… malgré l’horreur évoquée, on va passer un beau moment.
Imaginiez-vous pouvoir lire le récit d’une lutte contre cette maladie, la chimiothérapie, le séjour à l’hôpital, l’opération avec des éclats de rire ? Eh bien Jacques A. Bertrand rend cela possible.
« L’intérêt de la fiction, c’est de parler de la réalité (…) et de la transformer, de la rendre plus légère qu’elle ne l’est en réalité »
A la question qu’on lui pose : « Vous êtes vous demandé ce que vous n’avez pas réussi à avaler dans la vie ? »
Il répond : “La Bêtise, sans doute , sur quoi Renan se penchait pour avoir une idée de l’infini… »
Extrait :
« Certainement, je n’ai pas assez vomi. J’ai insuffisamment protesté. J’ai gardé trop de choses sur l’estomac. Par naïveté, j’ai trop longtemps cru sur parole les histoires qu’on me servait. On me certifiait que j’étais tenu de tendre à la sainteté. Je n’ai rien contre les saints. Il y en eut de très bien, des pittoresques aussi, des amusants parfois. Des bornés, également. Des allumeurs de bûchers. Mais je n’ai rien contre la sainteté. Seulement les doctrines et les dogmes par lesquels on voulait m’y conduire – définis des siècles ou des millénaires après d’hypothétiques événements censés les avoir inspirés – ont fini par m’apparaître peu fondés, ou tout simplement ineptes. De plus, leurs thuriféraires semblaient incapables de rester fidèles à leurs propres préceptes. « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Et cetera.
Il souligne là, avec cet humour qui le caractérise le fameux « fais comme j’te dis, fais pas c’que j’fais, dont nous avons tous vérifié les vertus pédagogiques à nos cœurs défendants ! Comment ne pas en prendre de la graine ?
Naturellement, il m’arrive d’être de mauvaise foi. C’est un exercice intéressant. Voire – si on le pratique avec un minimum de légèreté – un procédé humoristique efficient. Il en est de même de la mauvaise humeur. D’excellents comédiens, écrivains, politiciens ont fondé de belles carrières sur la mauvaise humeur.
J’ai souvent ruminé, certains petits matins venimeux, après avoir feuilleté les journaux, de me mettre à écrire « Le livre de la haine ». Il faut croire que je ne suis pas assez méchant. Plus ruminant qu’enragé
Combien est-ce savoureux de lire, sous la plume de cet homme intelligent et pudique, qu’il peut être parfois de mauvaise foi, voire ressentir de la haine… Car, bien sûr, tout un chacun ressent cela, également… C’est comme si alors, il nous en donnait l’autorisation… du coup on se sent plus légers, moins seuls en tout cas..
Avec ça d’une politesse exquise, d’une courtoisie sans faille.
J’ai avalé pendant des années des tartes aux salsifis. Pourquoi aurais-je embarrassé cette charmante hôtesse en lui avouant que je détestais les salsifis ? Ceux qui adorent les salsifis peuvent-ils vraiment comprendre que d’autres ne les aiment pas ?
J’ai toujours eu horreur des salsifis.
……
Les couleuvres, j’ai accepté avec complaisance d’en avaler quelques-unes. Il faut dire qu’elles étaient magnifiques. Noir, or, argent. Élégantes en diable. Avec cette façon de se mouvoir d’un point à un autre en ignorant superbement la ligne droite de la géométrie euclidienne.
Les ai-je vraiment digérées ?
Probablement pas, mais j’ai eu tellement de plaisir à les avaler. Je ne voudrais pas que l’on croie que je me cherche des excuses. Et je ne voudrais contrarier la digestion de personne. Je ne fais que me soulager d’un peu de mauvaise bile. Façon de thérapie. Mais je crois au libre arbitre.
C’est bien moi qui ai dévoré mon estomac. Dans toute vie, il y a toujours un moment où l’on peut choisir.
Ouvrez des écoles, vous pourrez fermer les prisons, conseillait le bon Victor Hugo. Aujourd’hui, il semblerait que pas mal de jeunes gens à qui les écoles sont ouvertes leur préfèrent la prison.
Et, notez encore, ce n’est pas que je sois un inconditionnel de l’école.
Qui a dit que la culture consiste à désapprendre ce qu’on nous a appris ? J’excelle dans cet exercice postscolaire. Déjà, je ne sais presque plus rien.
Mais je demeure résolument optimiste, n’en doutez pas. »
Voilà ce qui caractérise peut-être le mieux cet auteur: l’Optimisme et il en distille tout au long de ses pages… L’on en ressort tout ragaillardi.
Tous les livres de Jacques A. Bertrand sont de ceux qu’on ne peut pas lâcher, qui vous emportent au bout de la nuit…
ça se lit comme on déguste un carré de chocolat avec un petit café… Un mélange de gourmandise, de douceur et d’une pointe d’amertume…
On voudrait en tout cas qu’ils durent pour ne pas quitter trop vite cet auteur, son humour, sa sensibilité et sa grande tendresse pour les autres…
Liens
Article paru dans le nouvel observateur :
Interview au sujet de son livre : Comment j’ai mangé mon estomac
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