Louise Labé, femme moderne, poétesse passionnée.
Marcher à reculons dans l’histoire jusqu’à rencontrer une poétesse redécouverte au 19ème siècle et qui depuis ne cesse de susciter intérêt et admiration pour une écriture d’une liberté et d’une modernité qui n’avait pas d’équivalent chez une femme jusqu’à ce qu’elle, la belle Cordière, prenne la plume et publie grâce à un privilège royal en…1555!…
En guise d’exemple, voici un extrait de la ‘Préface dédicatoire’ de l’œuvre de Louise Labé adressée à ‘Mademoiselle Clémence de Bourges Lionnaise’. Vous trouverez le texte complet dans sa version en français moderne ici. On comprend d’emblée pourquoi la belle Louise est considérée comme la première auteure d’un discours féministe !
Étant le temps venu, Mademoiselle, que les sévères lois des hommes n’empêchent plus les femmes de s’appliquer aux sciences et disciplines, il me semble que celles qui [en] ont la commodité, doivent employer cette honnête liberté, que notre sexe a autrefois tant désirée, à icelles apprendre, et montrer aux hommes le tort qu’ils nous faisaient en nous privant du bien et de l’honneur qui nous en pouvaient venir : et si quelqu’une parvient en tel degré, que de pouvoir mettre ses conceptions par écrit, le faire soigneusement et non dédaigner la gloire, et s’en parer plutôt que de chaînes, anneaux, et somptueux habits, lesquels ne pouvons vraiment estimer nôtres, que par usage…..
De Lyon, ce 24 juillet 1555.
Votre humble amie, Louise Labé
Dans une société qui tenait la majorité des femmes loin du savoir, y compris celui de l’écriture, un tel texte, écrit par l’une d’entre elles, montrant à l’évidence le désir d’un partage égalitaire des connaissances et de la créativité intellectuelle entre les sexes tient du miracle, même en pleine Renaissance !
Ce portrait de Louyse Labé, souriante, jeune, belle et gracieuse est un portrait du XIXe siècle de Henri-Joseph Trébuchet d’après une oeuvre du graveur Pierre Woeiriot réalisée vers 1571. L’original est précieusement conservé à la Bibliothèque Nationale de France.
Née à Lyon en 1526, Louyse est fille puis épouse de riches cordiers. Lyon est en ce temps la capitale intellectuelle du royaume et le milieu social auquel la future poétesse appartient encourage l’éducation des filles aux belles lettres, marque d’un statut social élevé. Elle connaîtra le latin, l’italien, l’espagnol, pratiquera la musique et l’équitation qu’elle adore. Elle appartiendra au cercle de la grande poésie lyonnaise, notamment en compagnie de Maurice Scève et de Pernette du Guillet. Son inspiration sera influencée par la poésie de Pétrarque et par un courant néo-platonicien très présent dans leur cénacle.
Son œuvre connue (dont vous pouvez voir la page titre de la première publication ci-dessus) se résume à un très mince volume contenant une introduction de textes en prose contenant le Débat d’amour et de folie et trois élégies, suivie de vingt-quatre sonnets en décasyllabes exprimant les feux de la passion amoureuse et ses tourments.
C’est ce très mince volume qui traversera les siècles pour ravir nos yeux et nos oreilles encore aujourd’hui et qui suscitera recherches et polémiques sur l’œuvre et son auteure dans les cercles universitaires jusqu’à nos jours. Louyse y aborde des thèmes qui irriguent toujours les cœurs et la créativité de ceux et de celles qui la lisent, la chantent, mettent son œuvre en spectacle, continuent à la faire vivre et à l’aimer près de cinq siècles après sa disparition en avril 1566!
Le plus connu de ses sonnets est le sonnet XVIII dont vous trouverez la version complète sous le lien. En voici les deux premiers quatrains que vous connaissez sans doute… Loin de toute hypocrisie de langage, la poétesse y honore le désir, les plaisirs que procurent les jeux de l’amour et les sentiments qui les accompagnent…
Fac simile du texte Baise
Baise m’encor, rebaise moy et baise :
Donne m’en un de tes plus savoureus,
Donne m’en un de tes plus amoureus :
Je t’en rendray quatre plus chaus que braise.
Las, te pleins tu ? ça que ce mal j’apaise,
En t’en donnant dix autres doucereus.
Ainsi meslans nos baisers tant heureus
Jouissons nous l’un de I’autre à notre aise.
Je ne résiste pas au plaisir de partager avec vous la version du sonnet mis en musique et chanté par une jeune américaine Nataly Dawn, qui a appris le poème dans le cadre de son cursus. Nataly nous montre avec beaucoup de sensibilité à quel point la poésie de Louise Labé continue à vivre à travers le monde !
Cet autre sonnet, le sonnet VIII (version complète sous le lien ) est lui aussi resté très célèbre. Il met en évidence, avec adresse et belle écriture, les réactions extrêmes du corps et de l’esprit sous l’emprise de la passion amoureuse éprouvée par la belle Cordière.
Je vis, je meurs : je me brule et me noye.
J’ay chaut estreme en endurant froidure :
La vie m’est et trop molle et trop dure.
J’ay grans ennuis entremeslez de joye :
Tout à un coup je ris et je larmoye,
Et en plaisir maint grief tourment j’endure :
Mon bien s’en va, et à jamais il dure :
Tout en un coup je seiche et je verdoye.
En voici la version complète récitée par Cécile Bélluard
Onques ne fut mon oeil marri de voir
Chez mon voisin mieus que chez moy pleuvoir.
Onq ne mis noise ou discord entre amis
A faire gain jamais ne me soumis.
Mentir, tromper, et abuser autrui,
Tant n’a desplu, que mesdire de lui.
Mais si en moy rien y ha d’imparfait,
Qu’on blame Amour : c’est lui seul qui l’a fait.
mettait aussi en lumière dans le sonnet VII son souhait de plus d’unité interne entre les élans du corps et ceux de l’âme et son attente de plus de sérénité dans le lien amoureux …
On voit mourir toute chose animee,
Lors que du corps l’ame sutile part :
Je suis le corps, toy la meilleure part :
Ou es tu donq, ô ame bien aymee ?
Ne me laissez par si long tems pamee,
Pour me sauver apres viendrois trop tard.
Las, ne mets point ton corps en ce hazart :
Rens lui sa part et moitié estimee.
L’université Lumière Lyon 2 lui rend hommage nommant ‘Louise Labé’ son centre pour l’égalité des chances dont la mission est de s’assurer de l’égalité des hommes et des femmes et de continuer les recherches sur les genres… Celle qui a inauguré une parole féministe, revendiquant le droit à la liberté de pensée, de parole, d’écriture et d’éducation pour elle-même et les femmes, ses sœurs, celle dont le recueil de textes en prose et les sonnets ardents ont été épargnés par l’oubli, préside ainsi à la réalisation de ses vœux.
Toute l’œuvre de Louyse Labé se trouve sous le lien menant à un site très intéressant (dont la version des sonnets en français moderne) réalisé par des étudiants de l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres lors d’un stage à l’Académie de Lyon.
Sous ce lien, un calendrier replaçant la vie de Louyse Labé dans le contexte et l’histoire de son siècle…
Un grand merci pour cet article remarquable, passionnant et richement illustré qui nous permet de (re)découvrir une femme remarquable qui a su affirmer, épanouir, libérer son Etre et le conjuguer à la Poésie avec une belle modernité.
Merci à toi, Liliane, je l’aime cette soeur là! J’aurais voulu qu’elle puisse répondre à ce négativisme qui pèse sur son oeuvre de la part de certains…Tellement injuste de polémiquer sur l’auteure d’une oeuvre quand les archives ne retiennent (à juste titre) que de beaux textes écrits d’une même main et quand l’auteure n’est plus là pour en revendiquer la création! .
Pour ce bel article, pour cette mise en lumière sur cette poétesse et l’accent mis sur sa modernité, merci Domi.
De rien, Flo! Tous ses sonnets dédiés à l’amour passion, cela valait bien un détour!
Merci ta fais mon devoir sans le vouloir XD